Carnet de route

Alpinisme Haute-Bigorre
Sortie : Alpinisme du 11/06/2018
Le 14/06/2018 par Sébastien
La météo complexe et perturbée de ces derniers jours nous ont fait changé les plans plusieurs fois et de secteur, en optant pour les Pyrénées sur 4 jours au lieu d'une semaine sur Chamonix.
Nous sommes finalement que 2, Matthieu et moi motivés et cela malgré des très fortes intempéries et des inondations catastrophiques notamment dans le Béarn et une partie des Hautes-Pyrénées. Il me propose après la sortie de rédiger le CR et donc le voici:
Un coup de fil au refuge de Baysselance nous rassure sur les conditions en Haute Bigorre. Un de nos objectifs initiaux, le couloir Swan aux Astazous n'est plus en conditions sur le bas, le gardien du refuge des Espugettes étant idéalement placé pour nous renseigner.
Nous avons donc envisagé les 3 faces Nord pour cette saison bien enneigée et cela malgré que la mi-Juin est un peu tardif pour les courses de neige dans les Pyrénées.
Partis le mercredi soir du Limousin, nous rallions sans encombre le parking du barrage des Gloriettes sous une météo humide à partir de Toulouse, peu motivante mais nous restons plein d'optimisme.
Le réveil à 6h, au jour, est humide et brumeux, les préparatifs dans le camion de Matthieu sont évidemment plus simples qu'en tente. Le coin est désert quand nous entamons la longue montée du vallon d'Estaubé en direction du refuge de Tuquerouye, le plus haut refuge des Pyrénées.
Nous trouvons la neige à partir de 2200m, les nuées se dispersent peu à peu. A l'entrée du couloir de Tuquerouye, nous chaussons les crampons car la pente est bien raide jusqu'au refuge. Je cherche de l'eau dont j'entends le bruit mais rien d'accessible, il faudra donc regarder du côté Espagnol.
Personne en arrivant, c'est parfait, nous aurons de la place ce soir! Après la bonne suée de la montée, nous nous changeons et nous mangeons un bout. Matthieu propose une petite sieste avant la suite des hostilités. Malgré les couvertures et le duvet, celle-ci est glaciale et bien humide.
En début d'après-midi, le ciel se découvre entièrement, l'idée est de monter faire les 2 "3000" voisins et faciles, le petit et le grand Astazou. Cela nous permettra d'évaluer les conditions en altitude pour la course du lendemain, la face Nord du Mont Perdu, une des plus belles courses des Pyrénées.
Nous reprenons de l'eau au lac Glacé et nous remontons le vallon en pente douce en direction du col Swan. J'ai beau essayé de cheminer au mieux, ça brasse de plus en plus, la neige fraîche des jours derniers n'ayant pas eu le temps encore de se tasser.
Il est possible de prendre plus court pour rejoindre l'arête menant au Grand Astazou, c'est plus raide mais on brasse moins longtemps! L'arête est aérienne, facilement technique, il faut néanmoins restant vigilant avec une neige humide, prête à glisser sans prévenir. Le panorama est splendide, nous sommes seuls what else ?
Nous descendons au col Swan, nous essayons de voir où sort le couloir Oublié puis admirons la sortie du couloir Swan. Ces 2 itinéraires seront pour une prochaine fois... plus tôt dans la saison. Nous déposons les sacs et nous faisons l'aller/retour au petit Astazou, bien plus rocheux que son grand frère. Matthieu proposait de retirer les crampons, mais il reste des portions en neige où nous sommes plus en sécu avec.
Nous revenons au refuge sous une chaleur assez rude et toujours en brassant parfois jusqu'au genou. Nos chaussures et pieds sont trempés à force malgré le gore-tex, sensations désagréables, il faut faire avec.
Nous occupons le reste de l'après-midi à faire sécher nos affaires, réparer les guêtres pour Matthieu, buller dans un cadre majestueux et faire des essais infructueux de feu avec du bois pas sec. Vient le temps de l'apéro, soft, nous sommes en altitude.
Nous préparons le dîner dès 18h30 pour se coucher bien plus tôt qu'en plaine. Au menu, soupe, puis semoule avec le fond de la soupe et du bouillon cube. Il fait mi-doux dedans, un 5° humide, malgré les fenêtres ouvertes aux heures chaudes.
Dodo à 20h passées, enfin plus repos que sommeil car tous les deux nous avons du mal à le trouver.
Lever à 3h15, départ 4h pour être au début des difficultés au petit jour. La mauvaise nouvelle est qu'il y a absence de regel complet, dans les premières rampes nous brassons déjà. Matthieu est tout content de me laisser le lead pour la première difficulté, un couloir à 50° bien esthétique. Etonnemment, ça brasse moins, je prends bien mon kiff même si le parpinage incessant de glace qui nous frole le plus souvent est loin d'être ma tasse de thé.
La suite de l'itinéraire consiste à effectuer une longue traversée ascendante vers la seconde pente raide. Peu redressée (25/30°), je cède ma place à Matthieu histoire de varier les plaisirs... aieaieaie, le terrain change de suite de consistance et mon compagnon s'enfonce terriblement.
Derrière, je suis en mode patience sachant que brasser prend du temps et de l'énergie. Après quelques dizaines de minutes, Matthieu s'épuise, je le relaye mais malheureusement, sur la plupart des pas, je reste en surface alors que ses appuis font céder la neige... une différence de gabarit et il n'y a pas grand chose à faire.
Bientôt, Matthieu demande une pause et indique la direction du bas. Je suis surpris malgré tout car nous avons bien avancé et je suis bien confiant pour arriver à sortir malgré cette neige hétérogène. Je lui conseille de s'alimenter pour récupérer et de faire une bonne pause avant de prendre une décision définitive.
Matthieu m'explique ne pas vouloir se mettre en danger dans la 2ème partie potentiellement plus dure et impressionnante vue d'en dessous et d'en face, à cause de la fatigue. Je ne cherche pas à l'influencer car je ne suis pas à sa place et nous n'avons jamais été encordés avant (ma réaction aurait été différente avec mes compagnons de cordées les plus proches). Je me contente donc de proposer les 3 options possibles: la descente, la montée prévue ou une variante plus facile par l'arête Nord-Ouest (qui se fait en descente aussi en variante).
Matthieu me dit de continuer à monter, nous avonçons mieux, la neige étant meilleure. Nous arrivons au début de la pente raide et il prend la décision du retour. Déception bien entendu mais la prudence doit l'emporter en cas de doute. La descente ne sera pas une partie de plaisir, la neige étant vraiment pénible à descendre. Il nous faut trouver le passage dans la barre rocheuse, avec la photo et les souvenirs de Matthieu, nous y parvenons et descendons sans encombre, après un rappel de 20mn sur demi-cab de mon compagnon (heureusement que nous ne sommes pas au Whymper lui dis-je en rigolant).
La météo est parfaite et nous redescendons la vallée d'Estaubé rapidement après la récupération de nos affaires à Tuquerouye. Nous croisons une flopée de randonneurs sur le trajet, on sent bien que le franc soleil n'y est pas étranger.
Après une bonne pause, bièrotte, mangaille et siestou nous reprenons le volant pour Gavarnie et son col des Tentes.
En montant vers la station de ski, le pic du Taillon se dévoile, il semble finalement assez sec et la vue depuis le col confirme ce désolant constat: plusieurs portions de la voie sont secs, ça va être compliqué l'affaire !
Avant de partir, nous avons pris plusieurs autres options dans le secteur, nous partons donc en repérage vers le port de Boucharo, mater un passage sous un meilleur angle. Nous optons finalement pour l'arête Nord-Ouest du Taillon, voie possible en hiver comme en été.
Après un souper sympathique par le cuistot briviste, nous négocions l'heure du lever. Fatigué, Matthieu verrait bien se réveiller un peu plus tard, je n'insiste pas sachant quand même que le plus tôt est toujours le mieux même avec une course rocher, car les approches et retour c'est neige.
Nous partons donc à 6h, avec un ciel parfaitement dégagé et des températures déjà bien douces. Après le port de Boucharo, nous chaussons rapidement les crampons car la neige est béton. Il nous faut grimper un couloir d'une cinquaintaine de mètres sur un bon 45°. Il y a 2 possibilités, la plus large a l'air moins sympathique avec une rimaye fine et un ruisseau qui ressort de la neige. Sur l'autre, plus resserrée, il y a des traces récentes, nous optons pour ce côté.
Nous n'avons pas sorti la corde encore, un passage de 3m en neige et glace foireuse nous demande une pleine concentration. Dans ce passage, Matthieu se retrouve enquiquiné avec les sangles arrières de son baudard, ne pouvant rien faire à cet endroit, je lui dis de me rejoindre sur un replat. Je remets de l'ordre sur le baudard et c'est reparti.
Nous gagnons le fil de l'arête assez péteuse, rangeons les crampons, sortons la corde et Matthieu prend le lead, étant le plus en affiné avec le caillou de nous deux.
Encordement à 15m avec progression en simultané et des protections de temps en temps, nous progressons d'un bon rythme en retrouvant rapidement les réflexes de la grimpée en montagne et en grosses.
Un passage en cheminée demande à s'employer, un bon III mini avec des micro prises, ça réveille! Plus haut, il faut remettre les crampons, puis nous pouvons à nouveau les enlever et il faut les remettre en arrivant sur des névés de grande taille. Je prends la tête pour changer. La neige demande à nouveau beaucoup de concentration, bien humide, prête à partir sous les pieds et souvent avec un dernier point loin derrière.
Nous alertons en premier de cordée et nous prenons un plaisir évident dans cette voie, louvoyant entre ombre et soleil, se caillant et chauffant alternativement. Mine de rien, le sommet est encore loin et il est midi quand nous sortons sur le plat du sommet, découvrant les fabuleux paysages des canyons d'Ordesa. Nous n'y sommes pas seuls, ce pic étant très couru par sa voie normale par les Sarradets et la brèche de Roland.
Nous nous congratulons, la banane sur la figure, une série de photos et il est temps de rentrer car des nuages montent autour. Rien d'alarmant mais nous ne souhaitons pas prendre de risques. Nous optons pour le retour par la voie normale plutôt que par le col des Gabietous qui a vu déjà le soleil et qui comporte une traversée très exposée au-dessus d'une barre rocheuse.
Nous croisons un jeune qui vient du Casque et nous faisons la descente en sa compagnie, blablatant tout le long, perdant du dénivelé bien rapidement dans la neige.
Nous retrouvons le camion et la joie de mettre les tongues un peu avant 15h et décidons de rentrer dans la foulée, Matthieu ayant une contrainte de bonne heure le dimanche, ne nous permettant pas de faire une autre course.
Le secteur est décidement fabuleux et il faudra revenir, en mode estival car il y a des choses à faire en rocher et dès la fin d'automne pour taper du glaçon dans les goulottes, notamment celles du Taillon... et en faire la face Nord!